La gestion publique dans le territoire du Grand-Orly Seine-Bièvre

Depuis le 1er janvier 2024, l’eau potable est distribuée par deux nouvelles régies publiques sur une grande partie du territoire du Grand Orly Seine Bièvre : la Régie des Eaux de la Seine et de la Bièvre (Eau Seine & Bièvre) et la Régie des Eaux de la Seine et de l’Orge (RESO). Entretien avec Quentin Deffontaines, Directeur Général d’Eau Seine et Bièvre et RESO.

Q : Quels sont les principaux éléments qui définissent le contexte de la gestion de l’eau sur votre territoire et la création de ces deux régies ?

R : Nous nous trouvons sur le territoire du Grand-Orly Seine-Bièvre, une intercommunalité au sein de la métropole du Grand Paris. Ce territoire, le deuxième en taille et en population après Paris, s’étend des limites du 13ème arrondissement de Paris jusqu’à l’extrémité sud de l’aéroport d’Orly, couvrant 24 communes avec une population de 720 000 habitants.

Le territoire hérite d’une gestion de l’eau hétérogène, avec une régie à l’échelle communale (Viry-Châtillon), la régie des Eaux des Lacs de l’Essonne, et deux grands systèmes historiques : des délégations avec Suez globalement au sud du territoire et le SEDIF plus au nord. En 2021, sur les 18 villes initialement adhérentes au SEDIF, 9 ont choisi de ne pas réadhérer au syndicat, conformément à la possibilité offerte par la loi NOTRe. Sur les 9 restantes, 7 ont décidé de rester, et 2 ont demandé leur sortie plus récemment.

Neuf villes ont ainsi constitué une régie appelée Eau Seine et Bièvre, créée en mai 2021 et officiellement mise en place après une votation citoyenne tenue en septembre 2021. Mi-2022, quatre villes en DSP avec Suez ont décidé de se regrouper et passer également en régie, constituant la Régie des Eaux de la Seine et de l’Orge (RESO), créée formellement en décembre 2022.

Une de nos particularités réside ainsi dans la coexistence de deux structures, chacune ayant sa propre gouvernance, son propre projet, sa propre impulsion politique, avec une mutualisation des moyens matériels et humains. Cela garantit notamment la cohérence des choix technico-économique pour optimiser le fonctionnement des régies et favoriser les échanges, voire faciliter le rapprochement des structures le jour venu si tel est le souhait des élus. Nous considérons que l’échelle intercommunale est celle opportune pour la distribution d’eau potable, assurant à la fois proximité et mise en commun.

Q : Quelles sont les motivations derrière cette transition vers une gestion publique de l’eau dans votre territoire ?

R : Les motivations sont multiples. Tout d’abord, au plan politique, l’objectif est d’assurer démocratie, transparence, et souveraineté, permettant aux élus, en tant que représentants désignés par les citoyens, d’exercer une influence directe sur la gestion de l’eau. Cela se distingue des deux schémas hérités sur le territoire, avec le SEDIF, structure complexe en gouvernance impliquant il y a peu 150 communes, et du côté Suez, des délégations de service public distinctes à l’échelle de chaque ville, délicates à suivre. Une autre motivation essentielle est la maîtrise du prix, avec des décisions de gel, de convergence tarifaire ou de refonte des tarifs pour plus de lisibilité. Par ailleurs, le renouvellement du patrimoine, en particulier face à des réseaux vieillissants, constitue également une priorité, avec un engagement fort pour des investissements ambitieux permettant une régénération durable des réseaux.

La préoccupation environnementale représente une autre motivation essentielle, se traduisant par des initiatives telles que la traque aux fuites, des campagnes de sensibilisation aux économies d’eau et la remise de kits d’économie, associés à des conseils sur des usages sobres. Enfin, une attention particulière est accordée au volet social, avec la création d’un dispositif appelé S’Eaulidaire pour aider les personnes en difficulté de paiement des factures. La participation citoyenne est également soulignée du côté d’Eau Seine & Bièvre, avec en 2024 l’élargissement du conseil d’administration à des associations et des représentants du personnel, ainsi que la mise en place d’un comité citoyens.

Q: Quelles ont été les grandes étapes dans la mise en œuvre de ces changements ? Et quelles sont les prochaines étapes ?

R : La décision politique a été prise à la rentrée 2021 pour la régie « nord » et à la rentrée 2022 pour la régie « sud ». Des études préalables avaient auparavant été menées. Fin 2022, la construction d’une autonomie administrative a constitué une priorité, apparaissant essentielle pour disposer de budget, de prestations, de capacités de recrutement propres, etc. Les négociations de retrait ont eu lieu en 2022 côté SEDIF et en 2023 côté Suez, avec des accords conclus respectivement à l’automne 2022 et à l’automne 2023.

Le service a été repris le 1er janvier 2024 (Savigny-sur-Orge rejoindra RESO en 2025). La poursuite des recrutements, le renforcement des compétences, et la passation des marchés se poursuivent progressivement. Des étapes symboliques, comme la formalisation d’un contrat d’objectif avec l’autorité organisatrice, ont eu lieu fin 2023. De même, à l’approche de la reprise du service, une campagne de communication importante a été menée à l’automne 2023, période depuis laquelle le centre de relation abonnés et facturation est opérationnel. Il reçoit plusieurs centaines d’appels et de mails par jour, ainsi que quelques visites. Les premières factures seront émises en mars 2024.

Pour les prochaines étapes, outre l’exploitation quotidienne du réseau et la poursuite de travaux de renouvellement du patrimoine, les développements porteront tant sur l’intégration de communes nouvelles que sur la possibilité de prendre des compétences en sus, comme la défense incendie à partir de 2026.

Q: Côté Eau Seine & Bièvre, vous mentionnez une sensibilité particulière sur la participation citoyenne. Comment abordez-vous le défi d’impliquer les usagers ?

R : Pour Eau Seine & Bièvre, une attente forte existe quant à l’association des citoyens à la gouvernance. Nous nous inspirons d’initiatives ambitieuses comme celle de l’Assemblée des usagers de l’eau à Lyon, sans oublier notre contexte de villes de banlieue et un périmètre limité à la distribution qui pose le défi d’intéresser et de fidéliser les citoyens dans la durée.

Q : Comment avez-vous structuré et exécuté votre plan de communication, et quelles ont été les principales réponses et retours des usagers suite à ces initiatives ?

R : Notre plan de communication préalable à la reprise du service a été imaginé et partagé avec les villes constituant les régies. Il s’articule autour de trois principaux axes.

Premièrement, une lettre aux usagers distribuée sur l’ensemble du territoire, comprenant un message politique du Président (Eau Seine & Bièvre) ou de la Présidente (RESO), et du maire de la ville concernée.

Ensuite, une communication spécifique aux abonnés, sous forme d’un dossier comprenant  une lettre d’information, le règlement de service, et un formulaire à retourner avec une enveloppe T jointe.

Les journaux municipaux et les réseaux sociaux ont relayés ces communications.

Enfin, actuellement (fin 2023/début 2024), une campagne publicitaire sur mobilier d’affichage urbain se tient dans les différentes villes.

Les retours ont été à la hauteur des efforts de cette communication. Les réponses, que ce soit par courrier, mail ou téléphone, ont été nombreuses, créant la dynamique espérée de contact préalable à la reprise du service.

Les élus ont pris le parti d’une ambition rare en France, tout au moins à notre échelle, de gérer la relation abonnés et la facturation en interne et ce dès le premier jour, offrant un service de proximité et personnalisé . Depuis l’automne 2023, nous avons réussi à établir une excellente relation avec le public. Nous sommes ainsi entrés rapidement dans un fonctionnement quotidien, répondant aux diverses demandes liées aux branchements, aux nouveaux contrats, etc.

Q : Quels types de difficultés avez-vous rencontré ?

R : Les difficultés rencontrées étaient diverses. Bien que nous ayons bénéficié d’un soutien politique solide, le territoire relativement morcelé a posé un défi en l’absence de superposition entre périmètre de l’autorité organisatrice et des régies. Le portage en direct par les régies de leur création a ainsi été imposé très rapidement, avec là aussi une difficulté initiale mais une chance à terme, cette autonomie ayant permis de démultiplier la construction des structures..

La seconde difficulté majeure relève de notre statut d’EPIC, combinant des règles de droit public et privé, rendant la construction administrative complexe et ardue, avec le sentiment d’une véritable mission impossible. Pour la suite, l’équilibre économique sera à surveiller, notamment pour RESO qui achète une eau en gros à un tarif particulièrement élevé. Une autre difficulté, même si attendue, a été se faire assurer en responsabilité car, en sus de la difficulté rencontrée par de nombreuses collectivités et désormais régies, l’absence d’antériorité de la sinistralité dissuadait les assureurs.

Q : Comment avez-vous géré le recrutement ?

R : L’absence de personnel transféré des opérateurs sortants a constitué à la fois une difficulté, dans l’immédiat, une chance, sur le long terme. Les collaborateurs ayant rejoint l’aventure l’ont fait avec détermination, cependant nous partions de zéro, ce qui a été un défi majeur. Actuellement, nous avons atteint la moitié de l’effectif cible, la dynamique créée facilitant les recrutements à venir.

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